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Perspectives: PolySeSouvient se dit fatigué, mais non moins déterminé

Byadmin_tour

Déc 11, 2021

Lundi 6 décembre 2021. La lumière de gyrophares éclabousse les arbres de part et d’autre du chemin Olmsted, qui serpente autour du mont Royal. Le convoi du premier ministre Justin Trudeau s’éloigne lentement du belvédère Kondiaronk, d’où 14 faisceaux lumineux s’élancent vers le ciel tourmenté, rappelant la mémoire des étudiantes tuées par balles lors de l’attentat antiféministe perpétré à l’École Polytechnique de Montréal, 32 ans plus tôt.

Passé en coup de vent, le chef du gouvernement canadien a laissé derrière lui une rose blanche et la promesse de soutenir la lutte contre la violence par armes à feu.

Plus de trois décennies après la tragédie du 6 décembre 1989, les figures de proue du groupe pour le contrôle des armes PolySeSouvient, Nathalie Provost et Heidi Rathjen, ne demandent qu’à croire Justin Trudeau, notamment lorsqu’il promet de retirer les armes à feu de style militaire opérationnelles des mains des Canadiens en échange d’une compensation financière.

« Il y a la fatigue, la frustration qui s’installent », fait remarquer Heidi Rathjen, après des années de batailles pour un contrôle accru des armes à feu au Canada durant lesquelles les avancées et les reculs ont été nombreux. « Même quand on gagne, on perd », dit la témoin de la tuerie du 6 décembre 1989, ayant en tête les « promesses électorales brisées » et les mesures de contrôle « anéanties par des tricheries réglementaires ».

« On ne peut pas faire cela pour l’éternité », lâche Heidi Rathjen. Pourtant, « beaucoup reste encore à faire », constate la coordonnatrice de PolySeSouvient, tout en pointant la recrudescence de la violence liée aux armes à feu et les 18 féminicides survenus au Québec depuis le début de l’année.

L’« adrénaline » ayant gagné Nathalie Provost le jour du 32e anniversaire de l’attaque antiféministe à Polytechnique au gré des entrevues avec des journalistes, des entretiens avec des personnes dont la vie a aussi été bouleversée par une arme à feu, des activités de commémoration, dont celle à laquelle elle a participé en compagnie des premiers ministres canadien, Justin Trudeau, et québécois, François Legault, s’estompe. « Je reviens au neutre, comme disait mon père », mentionne-t-elle dans un échange avec Le Devoir jeudi soir.

Nathalie Provost dit être « un peu tannée » de se battre pour interdire les armes d’assaut et de poing ainsi que les chargeurs de grande capacité, 32 ans après avoir été atteinte par les projectiles de Marc Lépine, qui avait fait irruption dans sa classe de l’École Polytechnique, porté par une haine antifemmes et armé d’une carabine semi-automatique Ruger Mini-14, pour y tuer le plus de femmes possible. « Je ne trouve pas ça facile. Puis, en même temps, j’ai la sensation que les probabilités qu’on s’approche de quelque chose de vrai, puis d’important, sont tellement grandes là », affirme la survivante de la tuerie du 6 décembre 1989, près de trois mois après les dernières élections fédérales. « Si les Canadiens avaient élu Erin O’Toole, même minoritaire, je ne sais pas ce que j’aurais fait », laisse tomber Nathalie Provost. « Mais ce n’est pas Erin O’Toole qui est au pouvoir, c’est un gouvernement libéral [qui s’y trouve] avec le Bloc québécois et le NPD, avec qui on peut travailler », poursuit-elle.

La femme de 55 ans n’hésite plus à dire aux décideurs politiques leurs quatre vérités, comme elle l’a fait avec Justin Trudeau après avoir lu le projet de loi C-21 sur les armes à feu déposé à la Chambre des communes en février dernier. Tant pis si son approche frontale nuit à ses ambitions, se dit-elle. « Vous dites que vous partagez la peine et la souffrance que nous vivons. C’est faux, Monsieur le Premier Ministre. Car si tel était véritablement le cas, vous auriez eu le courage d’aller au bout de vos convictions », avait écrit Nathalie Provost au premier ministre « un dimanche soir sur [sa] table de cuisine ». « Si vous poursuivez avec ce projet de loi, plus jamais nous n’accepterons de vous recevoir à nos côtés lorsque nous pleurerons la mort de nos filles, de nos sœurs, de nos amies, lors des commémorations annuelles », l’avertissait-elle. « Ça m’a pris une heure, une heure et quart l’écrire. On l’a fait vérifier par quelques stratèges qui ont dit “Ouf, ouais, OK”, puis on l’a envoyée par courriel à toute la gang de PolySeSouvient. Les réponses ont été instantanées : “Oui, oui, oui, oui, oui…” » raconte Nathalie Provost.

L’étude du projet de loi C-21 s’est arrêtée net après la publication de la lettre au bas de laquelle une quarantaine de survivants, témoins, parents de disparues avaient apposé leur signature.

« C’était pas mal extrême, mais nécessaire », souligne Heidi Rathjen, tout en rappelant que « la mesure principale pour laquelle [PolySeSouvient] se bat, c’est l’interdiction des armes d’assaut ».

Au cours de l’été, le chef du Parti libéral du Canada, Justin Trudeau, a réitéré sa promesse de neutraliser les armes à feu de style militaire au pays. « Ou bien [les propriétaires] revendent ces armes au gouvernement pour qu’il les détruise ou bien on se charge de les rendre inutilisables », avait-il déclaré en campagne électorale à la satisfaction des signataires de la lettre.

Nathalie Provost dit avoir croisé un premier ministre « mal à l’aise » sur le sommet du mont Royal lundi dernier. « Je l’ai salué. Il nous a remerciés de l’accueillir. J’ai dit : “Maintenant, on attend que vous livriez les promesses”. Il a répondu : “oui” », relate-t-elle.

Les porte-parole de PolySeSouvient, Nathalie Provost et Heidi Rathjen — qui se sont rencontrées pour la première fois le jour de leur rentrée à l’École Polytechnique, en septembre 1985 —, disent continuer de mener bataille notamment parce qu’elles ont la certitude de faire écho aux demandes non seulement des victimes des violences par armes à feu, mais de la majorité de la population canadienne.

En compétition avec un lobby proarmes les accusant de « pleurnicher », les deux bénévoles ainsi que les survivants et les témoins de la violence par armes à feu qui gravitent autour d’elles comme Meaghan Hennegan (survivante de la fusillade au Collège Dawson, en 2006) et Boufeldja Benabdallah (témoin des contrecoups de l’attentat de la grande mosquée de Québec en 2017), ont l’oreille de la population, des médias et des hommes et femmes politiques.

« Les familles des victimes ont une crédibilité énorme parce qu’elles n’ont rien à gagner. Elles ont déjà tout perdu », explique Heidi Rathjen.

« On ne lâche pas, on continue, même si c’est exigeant », dit Nathalie Provost qui concilie, elle aussi, travail, famille et activisme.

« Toutes les deux on est fatiguées. Mais on s’appuie l’une sur l’autre, et sur les autres membres de notre petit collectif, et on est rendues d’une efficacité redoutable », fait-elle remarquer.

Comptez-vous sur une relève ? « La relève, on la prépare, on la prépare », indique l’ex-administratrice de l’École Polytechnique, tout en soulignant que « tu ne peux pas forcer » d’autres victimes à monter sur la ligne de front.

Cela dit, PolySeSouvient voit d’un très bon œil l’implication de la mairessede Montréal, Valérie Plante, qui a pris à bras-le-corps la lutte contre la violence armée.

Comme elle, le groupe continue de presser Justin Trudeau de renoncer à son idée de sous-traiter aux provinces et aux municipalités l’imposition de nouvelles restrictions sur les armes de poing pour interdire plutôt les armes de poing d’un océan à l’autre… comme son prédécesseur Paul Martin le promettait il y a plus de 15 ans.

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