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« Est-ce que j’ai failli quelque part ? », la culpabilité du père d’un terroriste du Bataclan

Byadmin_tour

Déc 10, 2021

A la cour d’assises spécialement composée, à Paris,

Le 15 novembre 2015, comme tous les dimanches, Azedyne Amimour a pris la route et quitté Liège, en Belgique, où il travaillait, pour rejoindre le domicile familial, dans la région parisienne. Quelle n’a pas été sa surprise lorsque, le lendemain, des policiers sont venus frapper à la porte pour les emmener, lui, sa femme, et leur plus jeune fille, dans les locaux de la DGSI. Sur le coup, c’est l’incompréhension qui domine. Certes, il a bien appris que trois jours auparavant, une vague d’attentats a endeuillé la capitale. Mais jamais, assure-t-il
devant la cour d’assises spécialement composée, il n’a imaginé que son fils, Samy, puisse être 
l’un des trois kamikazes du
Bataclan. « J’ai appris ça pendant ma garde à vue », précise cet homme de 74 ans, couronne de cheveux blancs et petite moustache qui apparaît lorsque son masque glisse.

A la barre, ce commerçant à la retraite raconte la radicalisation express d’un enfant qu’il qualifie lui-même d’« influençable ». Parcours scolaire « sans faute », baccalauréat du premier coup puis inscription en licence de droit, qu’il abandonne pour devenir chauffeur de bus à la RATP. C’est à cette période-là, courant 2012, que la famille constate le repli religieux de Samy Amimour, alors même qu’eux ne sont pas pratiquants. Il se met à fréquenter assidûment la mosquée, change sa façon de s’habiller, reproche à ses parents d’avoir des CDs ou une bouteille de champagne à la maison. Inquiet, Azedyne Amimour décide même de l’accompagner à la mosquée à plusieurs reprises pour se rendre compte par lui-même de la teneur du prêche… Mais ne remarque rien d’anormal. « Ça s’est passé à une vitesse vertigineuse », insiste-t-il.

« Ce jour-là, il est venu m’embrasser. J’ai tiqué »

En septembre 2013, le jeune homme prétexte de vacances dans le sud de la France avec des amis pour rallier la Syrie. « Ce jour-là, il est venu m’embrasser. J’ai tiqué, c’était bizarre », se remémore le vieil homme, qui finira son témoignage assis sur une chaise. Depuis la France, il tente coûte que coûte, avec sa femme, de maintenir le contact. Quitte à ne pas poser les questions qui fâchent, à l’encourager lorsqu’il lui dit qu’il apprend l’arabe. A l’été 2014, il prend à son tour la route pour la Syrie « pour aller le récupérer ». « Je me dis que quand il me verra, il va peut-être changer d’avis », insiste-t-il.

Sur place, c’est la désillusion. « Quand je l’ai vu, je ne l’ai pas trop reconnu, il avait une tenue militaire, des béquilles », se remémore Azedyne Amimour, précisant qu’il portait une kalachnikov en bandoulière. Surtout, son fils est quasiment mutique. « Quand j’essayais de lui parler, il ne répondait pas. » Il n’a aucune réaction lorsqu’il lui donne une « très belle lettre, très émouvante » de sa mère, refuse de lui dire comment il s’est blessé, ne veut plus parler de football alors que c’était leur passion. « Il a été complètement lobotomisé, c’était difficile d’entrer dans sa tête », analyse-t-il. Au bout de quatre jours, très affaibli par une intoxication alimentaire, il décide finalement de repartir avec l’idée de revenir, plus tard, « en force ».

Un voyage sujet à caution

Pensait-il réellement le faire changer d’avis, le faire revenir en France ? Pourquoi est-il parti au bout de quatre jours seulement ? Pourquoi n’a-t-il pas cherché à lui faire la leçon ? Pendant plus de trois heures, le témoin a croulé sous un flot de questions, parfois accusatrices. D’autant que sa version de ce voyage est sujette à caution. D’abord, parce qu’il existe d’importantes incohérences au niveau des dates. Surtout, parce qu’il a nié devant la DGSI avoir passé la frontière syrienne. Lui explique ce mensonge – qu’il qualifie de « refus de communiquer » – par la brutalité de l’annonce de la mort de son fils par le magistrat, ce qui l’a poussé à se refermer. Interrogée peu après par la cour d’assises spécialement composée, sa fille cadette a confirmé l’existence de ce voyage, affirmant avoir reçu un mail de son frère pour lui dire qu’il se trouvait avec leur père.

A travers son témoignage, on sent surtout l’espoir presque irrationnel d’un père persuadé qu’il parviendra à sortir son fils de l’engrenage de la radicalisation. Et la culpabilité d’un homme qui n’y est pas parvenu. « Est-ce que j’ai failli quelque part ? Je me suis souvent posé cette question, je ne sais pas », reconnaît-il.

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