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​Hydrogène: Québec invité à décarboniser ses industries lourdes avant tout

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Déc 9, 2021

La voiture carburant à l’eau n’est pas pour demain. En transformant son eau en un hydrogène vert très peu polluant, le Québec devrait tenter de réduire urgemment les émissions de gaz à effet de serre de ses industries les plus sales plutôt que de cibler le secteur des transports, plaident des experts. Créer une industrie québécoise de l’hydrogène aurait ainsi le double avantage d’être bénéfique à la fois pour l’économie et l’environnement, une dualité chère au gouvernement Legault.

Dans l’industrie, l’hydrogène peut servir dans bien des cas à remplacer le diesel ou le mazout utilisé massivement par des aciéries, des alumineries, des cimenteries et des exploitations minières, là où l’électrification — la méthode privilégiée par Québec pour réduire les émissions de GES dans le transport — n’est pas pratique ou rentable. Le secteur industriel est le deuxième émetteur de GES en importance dans la province, après le transport, justement.

Pour le moment, l’hydrogène est essentiellement produit à partir de gaz naturel. C’est ce qu’on appelle de l’hydrogène « gris ». Ce procédé n’est pas particulièrement propre, puisqu’il transfère les émissions là où l’hydrogène est produit, plutôt que là où il est utilisé. Plusieurs entreprises et experts pensent qu’en captant les émissions de GES et en les enfouissant, il serait possible de produire un hydrogène beaucoup moins polluant, voire carrément carboneutre, appelé hydrogène « bleu ». On attend cependant depuis des années les premières grandes applications commerciales viables de captation et la séquestration du carbone, qui tardent à voir le jour.

C’est là où le Québec et son hydrogène « vert » pourraient se démarquer. L’hydrogène vert est produit exclusivement à partir de sources renouvelables : l’énergie vient de centrales éoliennes, solaires ou hydrauliques et décompose de l’eau en deux parts d’hydrogène pour une part d’oxygène. C’est de cette façon que la société française Air Liquide produit à Bécancour quelque huit tonnes d’hydrogène vert par jour.

Alors que Québec amorce cette semaine ses dernières consultations publiques en vue de finaliser sa stratégie de l’hydrogène, les représentants du secteur des bioénergies pressent le gouvernement de reproduire à plus grande échelle ce qui se fait à Bécancour. Selon eux, ce serait le moyen le plus rapide et le plus rentable de réduire à la fois les émissions des industries lourdes ainsi que les importations de pétrole en provenance de l’extérieur du pays.

« Il n’y a pas de solution unique et magique aux enjeux climatiques : il faudra plus d’une solution, et l’hydrogène en est une pour des secteurs industriels spécifiques, notamment les industries lourdes », explique Bruno Pollet, professeur de chimie à l’Université du Québec à Trois-Rivières et expert international sur le sujet de l’hydrogène vert. « Le Québec a l’avantage de pouvoir développer l’hydrogène vert à partir de sources d’énergie renouvelable comme l’éolien. La province possède même des ressources minières pour produire les catalyseurs qui permettent de produire de l’hydrogène. À terme, on pourrait avoir une chaîne de valeur entière autour de l’hydrogène québécois. »

Voir loin

L’hydrogène vert coûte actuellement plus du double à produire que l’hydrogène gris, mais cela est appelé à changer, croit M. Pollet. À terme, les premiers investisseurs pourraient être ceux qui profiteront le plus de la consommation croissante de ce gaz. « C’est comme toute technologie qui vient perturber l’ordre établi. Il y aura un effet domino une fois que les premiers à l’adopter auront amorcé le mouvement. Mais il faut d’abord casser le modèle actuel de l’offre et de la demande pour favoriser l’hydrogène vert. »

L’expert européen fraîchement débarqué de Norvège voit un peu plus loin que la simple production d’énergie à partir de l’eau du robinet. « Il y a des projets en cours ailleurs dans le monde pour produire de l’hydrogène vert à partir d’eaux usées. C’est faire d’une pierre deux coups : on recycle des eaux non potables en créant de l’énergie propre. » Il existe aussi des projets — encore très embryonnaires — pour produire de l’hydrogène à partir d’eau de mer, ce qui serait l’énergie verte absolue.

Il n’y a pas de solution unique et magique aux enjeux climatiques: il faudra plus d’une solution, et l’hydrogène en est une pour des secteurs industriels spécifiques

 

Évidemment, on n’y est pas encore, loin de là, constate Marie Lapointe, directrice générale d’Hydrogène Québec. En fait, l’industrie en est encore au stade d’expliquer les différentes façons de produire de l’hydrogène, d’en comparer le niveau d’efficacité et d’expliquer comment elles peuvent chacune à leur façon convenir à des applications très précises. C’est ce qui explique selon elle pourquoi des analystes critiquent le faible taux d’efficacité de la production d’hydrogène : elles se concentrent sur ses formes les moins complexes de production.

« Par exemple, on peut produire de l’hydrogène à partir de déchets industriels ou même de déchets domestiques », illustre-t-elle. « L’efficacité de ce procédé est peut-être de 20 à 25 %, mais on récupère quand même des déchets. Utiliser de l’hydrogène dans le transport hausse peut-être son efficacité énergétique à 60 %. » C’est probablement pourquoi le transport ne devrait pas être le premier objectif de la stratégie québécoise, ajoute-t-elle. « Il est plus urgent de décarboniser le reste de notre économie. »

Pour remplacer le pétrole par de l’hydrogène vert dans les industries lourdes, Québec devra investir des sommes importantes. Mais cela ferait passer de 15 à 80 pour cent leur efficacité énergétique, ce qui serait un énorme bond en avant vers l’atteinte des cibles climatiques québécoises, dit-elle.

La volonté du gouvernement de miser des centaines de millions de dollars sur cette industrie réjouit donc la directrice générale d’Hydrogène Québec. « Les versions préliminaires de la stratégie étaient trop timides », selon elle. « Il faudra beaucoup d’argent pour déloger les hydrocarbures de nos industries et pour réduire les exportations de pétrole. »

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